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Cool Japon
7 novembre 2013

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

Conte 2:    Une très longue journée

 

Après un plateau repas de classe éco accompagné d’un vin « sans valeur gustative », j’ai sorti de mon sac à dos un planning de voyage que j’avais préparé depuis au moins six mois en tenant compte d’un souhait de Philippe et également du mien.  En contemplant ces cinq pages bien remplies des notes ou des plans d’accès, je me suis rendu compte que le rôle d’internet est devenu primordial dans notre société.

 

Les horaires et les prix de trains, de bus, de musées, de  temples, ou des restaurants courus de telle ou telle ville sont à la disposition immédiate des internautes.  Il suffit de choisir chronologiquement un mode de transport et d’hébergement, les horaires de sites à visiter, l’adresse du restaurant retenu pour un dîner (peut-être une réservation ?) pour pouvoir construire un planning minutieusement organisé en suivant pas-à-pas un itinéraire journalier.  On peut même en escompter à quelques yens près un budget journalier.

 

Mais un voyage n’est pas une course chronométrée, revendiqua Philippe.

 

C`est vrai, il a raison! Je me suis dit sans l’avouer que j`avais certainement cherché une performance d`organisation rationnelle à travers des éléments factuels d`internet. Le temps de rêver, de flâner, et de bavarder avec des gens est aussi  important ou certainement plus important qu’un itinéraire comblé. J’ai donc modifié, un gobelet de thé vert à la main, les visites de chaque jour, pour pouvoir respirer à pleins poumons l’air du Japon, sans modifier l’organisation globale des transports.

 

Je me souviens qu’il y a exactement quatre ans à la même période, donc en octobre,  je partais aussi avec Philippe pour Kansai. Cette fois-ci, ce sera son troisième voyage au Japon. Lorsque je le lui ai proposé en février dernier, il m’a répondu oui sans hésitation. J’avoue que j’ai une chance inouïe d`être accompagné d`une personne à la fois intéressée par la spiritualité japonaise et éclairée en culture générale.

 

L`itinéraire aérien est tracé par l’ordinateur du bord en tenant compte des vents dans l`atmosphère, afin de minimiser l`utilisation de kérosène. Cependant,  le vol pour Kansai passe toujours au-dessus de Pékin environ vers 4 heures du matin à l`heure japonaise. Dans l`obscurité des hublots, apparaissent progressivement et lentement les lumières en damier de la ville de Pékin. A chaque fois, j`ai l`impression de voir un kaléidoscope de quatre millénaires de l`histoire chinoise se dérouler à travers ce spectacle aérien.  L`empire des Jin, des Sui, des Tang ou autres dynasties traversait les hublots l`un après l`autre au reflet de ces lumières. J`ai évidemment secoué Philippe pour lui montrer la merveille juste devant nous, à portée de main. Son regard fasciné,  sans un mot,  traduisait toutes les expressions de l’émerveillement.

 

La Chine a marqué une empreinte culturelle incontestable sur la culture japonaise, avec l’apport du bouddhisme en l’an 538 de notre ère. Le concept de l’état centralisé a aussi été introduit par l’empire des Sui. Le Prince Shôtoku (Shôtoku Taishi), en tant que chef d’état du Japon à cette époque, a entrepris une politique basée sur la pensée bouddhiste,  avec l’instauration d’un état centralisé. Il a également promulgué une Constitution de 17 articles consentant la création d’un état bouddhiste, ainsi qu’un système d’avancement au mérite des fonctionnaires en douze échelons, basé uniquement  sur la compétence.

 

Shôtoku Taishi a aussi envoyé l’ambassadeur Onono Imoko à l’empire des Sui pour faire remettre une lettre autographe commençant ainsi : « Le prince du pays du soleil levant adresse une lettre au prince du pays du soleil couchant ». Par ces mots, il revendiquait une relation équilatérale avec l’empire des Sui, qui l’a acceptée l’année suivante.

 

La rivalité entre le Japon et la Chine ne date pas d’hier, mais existe depuis la nuit des temps…

 

 

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Après un petit déjeuner que nous avons quand même grignoté sans enthousiasme, notre avion s’est mis en position d’atterrissage sur l’aéroport de Kansai. 

 

L’aéroport se trouve sur  une île artificielle inauguré en 1994 dans la baie d’Osaka. Le chantier de construction de l’île a commencé en 1987 avec beaucoup de difficultés,  surtout en raison des mesures de prévention antisismique ou de protection contre les typhons dévastateurs avec des vagues de plus de 5 mètres de haut. Les terminaux de l’aéroport ont été dessinés par l’architecte italien Renzo Piano, qui est aussi l’auteur du Centre Beaubourg à Paris. C’est le plus long bâtiment du monde : il mesure 1.7 km de bout en bout. Le toit du terminal est en forme d’aile d’avion. Cette forme facilite la circulation de l’air envoyé par l’immense système de climatisation.

 

On se souvient encore des paysages dévastés de Kobé (la ville à côté d’Osaka) qui a enregistré plus de 6400 morts lors du tremblement de terre de Hanshin-Awaji en 1995. L’épicentre se trouvait à peine à 10 km de l’aéroport de Kansai. Et pourtant, les bâtiments de l’aéroport sont restés intacts grâce aux joints de dilatation mis en œuvre dans les structures. Et les vitres du bâtiment ne furent même pas endommagées….

 

Une jeune Française originaire de Marseille nous a semblé un peu perdue dans l’immensité de l’aéroport. Elle venait pour la première fois au Japon pour passer un entretien d’embauche dans une école de langues à Kyoto. Après un échange de quelques mots en français, qui lui a permis de retrouver son assurance, nous l’avons accompagnée jusqu’au guichet du chemin de fer Nankai, avant de nous occuper de ce qui nous restait à faire : valider le railpass de JR et effectuer nos réservations de train.

 

La Société Nationale de Chemin de fer Japonais dite Japan National Railways (JNR) a été privatisée le 1er avril 1987 à cause de son endettement faramineux. Elle a, alors, été scindée en huit sociétés privées parallèles appartenant à un même groupe sous l’enseigne  JR (Japan Railways).  Par ailleurs, il existe des centaines de sociétés locales de chemin de fer privées au Japon. La société Nankai en est une, qui fait la liaison entre l’aéroport de Kansai et Osaka. Il y a donc deux lignes de chemin de fer qui desservent l’aéroport.

 

J’avais mentionné que seul 30 % du territoire du Japon est habitable, et donc habité par le double de population française : 130 millions d‘habitants. Imaginez l’effet que cela produirait  si chacun prenait sa voiture, comme en France, pour aller au travail. Le désordre du trafic routier serait très vite garanti tous les matins avec des embouteillages monstres. Ceci expliquerait le développement des transports en commun, et surtout l’importante ramification de chemins de fer locaux autour des grandes villes.

 

Pour se rendre à leur travail, les Japonais prennent en moyenne une heure de train à l’aller et une autre au retour. Deux heures de perdues !  Eh bien non, c’est le moment idéal, même en étant debout, pour la lecture de journaux ou de livres. Ils ont inventé une méthode de lecture tout à fait originale dans un train bondé : on plie en deux son journal grand format, d’abord verticalement, ensuite horizontalement,  pour avoir au final un format A4 à tenir d’une seule main. Evidemment tout ceci doit se faire sans déranger les autres. Ou alors, on sort son livre de poche, qui est d’un format plus petit que celui qu’on trouve en France.  Mais une grande particularité est que tout livre destiné à être lu en public est recouvert du papier d’emballage d’une librairie.  Les Japonais n’aiment pas montrer ce qu’ils lisent aux autres. Refus d’ostentation ? Isolement dans son monde ? Ou tout simplement protection du livre?  Seuls des sociologues avertis auraient peut-être une réponse.

 

Enfin, une autre particularité des Japonais est qu’ils arrivent à dormir n’importe où. Parmi les chanceux qui ont eu une place assise dans un train bondé, on en repère régulièrement un qui s’est endormi en cherchant appui de sa tête sur l’épaule du voisin (ou de la voisine). Mais il se lève subitement lorsque le train arrive à sa gare de destination, comme s’il avait une antenne en veille.

 

Ce n’est pas une scène de Manga, mais une réalité que j’ai moi-même expérimentée jadis !...

 

 

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L’auberge de jeunesse de Shin-Osaka (Shin-Osaka Youth Hostel) paraît être pour nous digne d’un hôtel  à 5 étoiles.  Contrairement à son appellation, il n’y a pas de limite d’âge pour cet hébergement. Chacun paie environs 45 euros la nuit pour le confort d’une chambre individuelle à deux lits avec salle de bain et  WC. Et si l’on opte pour un dortoir de quatre lits, le prix sera de 31 euros la nuit. L’auberge est propre,  équipée d’internet et du téléphone international, et en plus elle est à 10 min à pied de la gare de Shin-Osaka.

 

Ce type d’hébergement me semble idéal dans les grandes villes, où le confort coûte quand même cher. L’âge du vagabondage étant loin derrière moi, je revendiquerais très humblement un minimum de confort me permettant de souffler le soir dans une chambre individuelle. Ceci dit, j’ai emmené, au cas où, une boîte de boules Quilès pour la nuit.

 

 Après avoir déposé nos valises, nous sommes partis avec beaucoup d’entrain à la découverte de Kyoto, pour passer l’unique demi-journée prévue dans la capitale culturelle du Japon.

 

Au VIIIème siècle, la capitale du Japon était Nara. C’était une cité florissante qui entretenait beaucoup d’échanges commerciaux et culturels avec la Chine

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ou la Corée. Elle était par ailleurs soumise à des influences bouddhistes. Or, l’Etat de droit était entré dans son stade de maturité, et l’autorité centrale, donc  l’Empereur, souhaitait en limiter l’excès sur la politique du Japon. L’Empereur Kanmu décida donc de transférer la capitale de Nara à Kyoto en 794 pour mettre la politique à l’abri d’influences bouddhistes.

 

Depuis cette date, Kyoto devint la capitale du Japon. C’est là que résidèrent les Empereurs successifs, tantôt investis du plein pouvoir, tantôt réduits à une position honorifique.  Cependant la belle cité resta la demeure de l’Empereur jusqu’en 1869, l’année où les tombeurs du Shôgun Tokugawa décrétèrent d’accueillir l’Empereur à Edo qu’ils renommèrent par la suite Tokyo (dont la signification est la capitale de l’est).

 

Avec ses deux mille temples, sanctuaires, palais, Kyoto est indéniablement la capitale culturelle du Japon.  Plusieurs temples sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous avons donc choisi une visite des temples Daigo-ji pour notre demi-journée à Kyoto.

 

Les temples Daigo-ji se situent dans un vaste parc vallonné couvert d’arbres centenaires, au sud-est de Kyoto, à une heure de taxi environ du centre-ville. Son temple Kondo datant du IXème siècle, sa pagode de cinq étages construite en 951 pour le repos éternel du défunt Empereur Daigo, classés tous deux comme trésors d’Etat, ou son jardin du Sanbô-In qui distille une atmosphère suave de l’ère d’Heian (de l’an 794 à l’an 1185), résonnent tous de la gloire du passé.

 

Dans un coin du jardin du Sanbô-In, il y avait un petit pavillon d’aspect ancien. On y servait du thé « matcha » ou des nouilles de sarrasin appelées Soba, avec en prime, une vue sur ce beau jardin.

Comme nous n’avions rien mangé depuis l’atterrissage à Kansai, nous nous sommes hâtés d’ôter nos chaussures pour nous installer à une table.  Malgré un intérieur traditionnel avec un sol recouvert de tatami, il y avait des tables occidentales et des chaises placées face au jardin bien aménagé. On devinait une considération attentive pour les visiteurs étrangers.

 

La distinction nette entre l’extérieur et l’intérieur est une spécificité de la culture japonaise. Lorsqu’on pénètre à l’intérieur d’un espace clos, on enlève ses chausseurs par tradition ancestrale. On y circule donc soit à pieds nus, soit en chaussons. Il y a d’ailleurs une petite marche entre le sol à l’extérieur et le tatami à l’intérieur. Bien entendu, cette règle ne s’applique pas aux bâtiments publics, comme par exemple une entreprise,  un grand magasin ou un hôtel. Cela dit, durant toute sa scolarité depuis le jardin d’enfants jusqu’au lycée, chaque élève a une paire de chaussures d’intérieur dans un casier à l’entrée du bâtiment. La culture du tatami commence par là.

 

Deux femmes d’un certain âge étaient déjà installées devant un matcha accompagné d’un gâteau traditionnel. Nous nous sommes salués dans un

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silence feutré, puis nous avons pris place à une table, d’où nous apercevions à travers des fenêtres à claire-voie un étang, des rochers couverts de mousses, des arbres, dans une ambiance d’harmonie et de profonde sérénité.  L’automne s’installait doucement.

 

Une jeune serveuse intimidée – probablement de la présence de Philippe - s’approchant de nous avec deux tasses de thé vert sur un plateau,  j’en profitai pour confier à mon camarade la tâche de commander en japonais un « tempura soba » (sobas accompagné de baignets de gambas).

 

Les sobas se mangent en faisant du bruit de succion. Cette variété de pâtes ne se mâche pas comme par exemple les spaghettis, ou les spätzle, mais s’aspire à chaque bouchée trempée de bouillon. C’est la façon traditionnelle qui semble la plus appétissante au goût de tous les

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Japonais, qu’ils soient hommes ou femmes. Evidemment Philippe n’y est pas arrivé et il mâchait ses sobas, en manifestant tout de même son appétit.

 

Sur le chemin du retour, nous sommes descendus dans un faubourg de Kyoto appelé Yamashina,  pour flâner sur un marché de céramiques typique de Kyoto : l’école de céramique de Kiyomizu connue sous l’appellation de Kiyomizu-yaki.  Il y a plus de trois cents fours à Kyoto qui s’activent pour la préservation de la tradition vieille de trois cents ans.

 

Le procédé de fabrication reste artisanal, à savoir que chaque céramiste manie lui-même son tour et dessine les motifs à la main. Comme il n’y a pas suffisamment de matière première requise à Kyoto pour fabriquer la céramique de qualité, chaque artiste est obligé de doser l’utilisation de la glaise spéciale. Un céramiste prétend qu’il en va du Kiyomizu-yaki comme de la cuisine de Kyoto : on fait des merveilles avec  peu de matière à sa disposition.

 

Philippe, qui est un grand amateur de céramiques, arpentait  les allées de Yamashina en fouillant des dizaines de stands. Et au milieu de la foule de gens zigzaguant dans tous les sens à la recherche de son bonheur, je vois tout à coup apparaître le visage souriant de Philippe, deux cuillères en céramique à la main.

 

Au crépuscule d’une très longue journée, nous avons pris une navette gratuite spécialement mise en service pour ce marché, entre Yamashina et la gare de Kyoto. Comme tout le monde rentrait au même moment, elle était bien sûr bondée. Nous aurions aimé nous asseoir pour nous assoupir un peu jusqu’à la gare, mais enfin…

 

A suivre à vendredi prochain

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