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Cool Japon

26 janvier 2016

Chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

 Conte 15:     Une station perdue, Yôka dans le département d'Okayama

 

 

Départ de l’hôtel à 8 :15.

Départ du train express  « Thunderbird No.14 » de Kanazawa à 9 :03.

Arrivée à Kyoto à 11 :09.

Départ du train express « Kinosaki No.3 » de Kyoto à 11 :25.

Arrivée à Yôka à 13 :22.

Installation à l’auberge à 14 :00.

 

Après avoir consigné nos valises dans un coin de la réception, celles-ci devenant de plus en plus lourdes à cause des souvenirs cumulés, surtout de céramiques, nous avons pris place pour ce dernier petit déjeuner au buffet libre. Le soleil du matin pénétrait tendrement dans la salle à manger. Notre homme d’accueil arpentait toujours, comme tous les matins, dans tous les sens. Philippe vérifiait ses e-mails s’il n’y avait de catastrophes dans le suivi de ses projets confié à ses adjoints. Tout se passait dans un silence feutré. Je lui ai quand même expliqué qu’on aura suffisamment de temps de correspondance à Kyoto pour acheter nos bentos, et que la journée sera cool avec de l’onsen.

 

Comme prévu, le train arriva à la gare de Yôka à 13 :22 pile. Dans une grande place de la gare presque déserte, il y avait une petite station de bus où deux petits bus locaux étaient en stationnement sans chauffeur. Je savais que notre auberge se trouvait non loin de la gare, mais en voiture. Je suis allé au bureau de la compagnie pour me renseigner sur les horaires des prochains bus allant vers notre auberge. Ils ont répondu avec beaucoup de courtoisie et du regret qu’il n’y en a plus. Bref dans ce genre de situation, la courtoisie ne sert pas à grand’ chose. Nous nous sommes vite dirigés vers l’unique taxi qui était en stationnement avec le chauffeur, qui a de suite actionné l’ouverture automatique du portique et du coffre. Assis sur la banquette arrière avec nos gros sacs à dos respectifs sur les genoux, j’observais attentivement le compteur de prix en train de grimper tous les cents mètres avec un bruit mécanique inquiétant.  A l’arrivée à l’auberge au bout d’un quart d’heure, j’ai payé de la caisse commune environ l’équivalent de cinquante euros. Le grand principe de l’offre et la demande était bel et bien valable même dans ce petit bourg campagnard.

 

J’ai demandé au chauffeur de revenir nous prendre dans une heure pour aller à « Tennyo no yu » Onsen. Notre auberge est appelée traditionnellement ryokan (auberge du voyage littéralement).  Le séjour en ryokan requiert une certaine notion préalable. Dans un ryokan, une chambre est toujours occupée par deux ou plusieurs personnes (bien sûr, ce n’est pas un dortoir avec d’autres gens qu’on ne connait pas). Le prix varie donc selon le nombre d’occupants dans une même chambre.  Lorsqu’on voyage seul dans un ryokan, on risque d’être refusé, ou on doit payer un prix fort sauf pour une période hors saison.

 

Notre chambre était scindée en deux parties par deux portes coulissantes à savoir que la première comprenait un petit espace pour enlever les chaussures avec une petite commode pour les ranger, et un petit couloir en parquet avec une porte pour accéder aux toilettes et à la douche, et que la salle de séjour était d’une surface d’environ vingt  mètres carrés  avec un sol en tatami, et un autre petit couloir en parquet juste devant une baie-vitré où étaient rationnellement agencés deux fauteuils, une table, une armoire, et un réfrigérateur.  Au milieu de la pièce en tatami se trouvait une grande table basse avec une thermos d’eau chaude et des ustensiles pour faire du thé vert, et une télévision pour vivre parterre à la japonaise. Philippe a ouvert par curiosité la porte coulissante en papier du grand placard. Il y a trouvé plusieurs paires de futons matelas (Shiki-buton), et futons couverture (Kaké-buton) bien rangés sur les deux étages.

 

Des serveuses de maison viennent prépare les lits lorsque les occupants sont à table pour le dîner, et les ranger lors du petit déjeuner pour remettre la chambre en ordre. Tout se passe discrètement à l’insu des occupants.

 

Par ailleurs, chaque client dispose d’une grande serviette de bain, d’une petite serviette longue en guise du gant de toilette, d’un yukata (appelé généralement en France kimono) de séjour avec une ceinture, et d’une veste pour le yukata. Pour commencer un séjour en ryokan, chacun se change en yukata pour se promener dans l’établissement ou aller aux bains.

 

Philippe s’est changé dès son arrivée en yukata, mais la moitié des tibias était découverte par manque de longueur.  J’ai appelé donc une serveuse pour avoir un autre yukata en XL.

Mais enfin, je lui ai demandé de bien vouloir se rechanger en ses habits civilisés pour aller à « Tennyo no yu » Onsen.  Les thermes où des femmes venant du ciel viennent se baigner est la traduction littéraire de « Tennyo no yu ».

 

Le même taxi était déjà à la porte de l’auberge. J’y suis monté avec une résolution d’un soldat perdu de devoir payer environ cent cinquante euros pour un trajet de trente minutes. Après une petite route départementale, et une plus petite route certainement communale dans des montagnes, le chauffeur accélérait toujours avec un bruit du compteur dont le rythme me paraissait infernal.  Lorsque nous sommes arrivés aux thermes de femmes venant du ciel, je me suis vraiment senti sauvé. J’ai enfin payé de la caisse commune environ cent vingt euros.  Waouh, j’ai réussi à économiser trente euros, pensais-je triomphalement.

 

A l’accueil de l’établissement, j’ai immédiatement demandé les horaires de bus locaux qui pourraient nous rapprocher de notre auberge.  Peine perdue, on m’a répondu qu’il n’y avait pas de bus pour aller en direction de notre auberge.  Lorsque j’allais prendre une autre résolution amère, le patron de « Femmes venant du ciel » m’a proposé de nous ramener en voiture jusqu’à notre auberge. Alors là,  j’ai failli remercier mille Dieux pour cette incroyable providence qui tombait du ciel.

 

Après avoir mis nos sacs à dos  et nos vêtements dans des casiers fermés à clef, nous nous sommes dirigés, avec une petite serviette longue tenue sur une main de manière pudique, vers la grande salle d’eaux pour nous savonner de la tête aux pieds. Il y avait quatre grands bassins à l’intérieur, et deux grands bassins entourés de rochers dans un jardin paysagé à l’extérieur. L’eau chaude de quarante degré était puisée de trois cents mètres sous-terrain.  Posées nos têtes sur des rochers, nous étions assis sur le fond du bassin en regardant vaguement le ciel, de temps en temps, en échangeant quelques mots. Quelques feuilles d’érables se détachèrent en dansant dans un espace infini vers la surface du bassin. Deux heures étaient ainsi écoulées entre des songes dans de l’eau de Tennyo et des discussions terre à terre à l’air libre de l’automne.

 

Devant la porte de notre auberge, nous n’avons pas fini de remercier le patron de « Tennyo no yu ».  La nuit était déjà tombée. Le grand hall d’entrée était éclairé avec des lumières tamisées. Des silhouettes en yukata s’y croisaient dans une atmosphère de détente. Le staff d’accueil nous a salués avec un sourire complice comme si nous étions un membre de leur famille. Comme nous avions une bonne heure avant le dîner commandé à dix-huit heures trente, nous sommes entrés sans but précis dans des magasins de souvenirs tenus également par ce même ryokan. Il y avait plusieurs variétés de saké local, des poissons séchés, des crabes séchés, des poulpes séchés,  des algues séchés, des légumes de montagne macérés, des spécialités de gâteaux locaux, des épices avec du yuzu, ou pleins d’autres. Bref, ce fut certainement un bazar de bizarrerie pour l’homme de la rue en France ou peut-être de merveilles pour mon compagnon de voyage.  Nous en sommes sortis finalement avec plein de sachets portés à chaque main.

 

Nous sommes entrés en yukata dans la salle à manger à dix-huit heures trente pile. Notre table était déjà préparée avec les ustensiles pour le Shabu Shabu, et des légumes frais assortis, des champignons shiitaké ou d’autres variétés, et des cubes de tôfu. Comme nous restions deux nuits à cette auberge, j’avais préalablement commandé deux menus différents à savoir du Shabou Shabou pour le premier dîner, et du Sukiyaki pour le deuxième.

 

La région de Yôka était autrefois appelée « Tajima ».  Il en existait une spécialité de taureaux de saillie depuis le début du 8ème siècle. D’après le livre de l’histoire « Shoku-Nihongi » édité en 797, les bovins étaient aussi utilisés dans le pays de Tajima comme un moyen du transport, du labourage, ou une nourriture. Bien que les Japonais ne fussent pas chasseurs dans leur histoire, une petite minorité de la population mangeaient de la viande par tradition ou par nécessité. Le Shabou Shabou, ou le Sukiyaki sont des plats de viandes que les Japonais d’aujourd’hui raffolent comme un repas extraordinaire. C’est pour cette raison historique que notre auberge servait des plats de viandes au dîner au lieu de plats de fruits de mer.

 

Le Shabou Shabou est un plat de viande de bœuf harmonieusement persillée comme un motif géométrique, qui est taillées en très fines lamelles.

 

Au milieu de la table, une grosse marmite plate vide est posée sur un réchaud à gaz. Une serveuse nous apporte un grand pot de bouillon préparé d’algues Konbu et de l’eau. Elle verse le bouillon dans la marmite et allume le gaz. Lorsqu’il devient frémissant, elle met successivement des carottes coupées en rondelle fine, des poireaux et des choux de chine coupés en dix centimètre de longueur, des champignons Shiitaké, des tôfus coupés en cube, et à la fin des feuilles de chrysanthème.

 

Lorsque tous les ingrédients végétaux sont mis dans la marmite bouillante, chacun prend quelques lamelles de bœuf persillées avec ses baguettes, et l’y trempe environ dix secondes afin que la viande reste mi cuite.

 

Par ailleurs, chacun dispose de deux sauces différentes dans des petites assiettes ; une sauce Ponzu préparée avec  de la sauce de soja et du jus de yuzu, une sauce Gomadalé préparée avec du bouillon de Konbu, de la sauce de soja, du jus d’ail, et de la pâte de sésame.

 

Philippe trempa deux lamelles de viande bien fumantes dans la sauce gomadalé et les mit dans sa bouche. «Ca fond dans la bouche », s’extasia-il.  Il enchaina deux fois de suite le même mouvement de baguettes, puis il vida sa pinte de Namachû d’un trait. J’ai appelé une serveuse pour en commander deux autres.  Après une cure thermale dans de l’eau volcanique de quarante degré, nous avions soif. Chaque gorgée de bière était ressentie comme un ruisseau qui passait entre des rochers chauffés au soleil.

 

A deux heures de route de Yôka en pleines montagnes, Tadao Ando a construit un musée appelé le musée pour la culture du bois. Le bâtiment principal a une forme d’un cylindre en bois à la paroi intérieur avec le diamètre de vingt-deux mètres, d’un demi- cône tapissé en bois à la paroi extérieur avec le diamètre de quarante-six mètres. L’épaisseur au sol de vingt-quatre mètres et la hauteur de dix-huit mètres constituent donc l’intérieur du musée dont l’ossature est faite de soixante-quatre piliers et de quatre cents trente-six traverses en bois de cèdre local avec une lucarne circulaire au plafond entre le cylindre intérieur et le demi-cône extérieur. L’effet visuel de la structure fait penser à des arbres poussant vers le soleil. Par ailleurs, l’intérieur du cylindre est à ciel ouvert avec des jaillissements d’eau au sol qui suggèrerait de la vie naissante.

 

Du parking du musée, une passerelle en béton monte une dizaine de mètres, puis elle tourne à droite à quatre-vingt-dix degré vers le bâtiment pour le traverser complétement, et se prolonge au milieu de la forêt de manière rectiligne à deux cents trente-six mètres de longueur.  Tout au bout, un petit pavillon cubique en béton avec un baie-vitré est disposé aux visiteurs comme une salle de détente, où on peut pique-niquer après la visite au musée.

 

L’esprit du musée est de partager les connaissances (climats, matières, traditions, techniques) sur la culture du bois dans le monde et de reconnaitre la grâce de cette culture. Il rappelle que les arbres sont absolument indispensables pour le bien-être de cette planète, donc pour la vie de ses habitants.  Il y a des maquettes de maisons ancestrales en bois de plusieurs pays, des instruments musicaux ou des ustensiles en bois, un atelier de bricolage de bois équipé de plusieurs machines, et une bibliothèque dotée d’une grande collection de livres sur le bois. Le thème du musée s’articule autour de trois mots : la mer, la forêt, et le soleil.

 

Nous y sommes arrivés avec une organisation compliquée en utilisant plusieurs modes de transport à savoir la navette de l’hôtel jusqu’à la gare de Yôka, un réseau de bus durant quarante-cinq minutes,  puis un taxi jusqu’au parking du musée avec un prix de la demande plus forte que l’offre, bref non sans mal.

 

A l’ouverture du musée à dix heures, nous étions seuls à attendre devant la porte d’entrée. L’été indien tardif faisait sentir son dernier souffle de chaleur. Lorsque nous sommes entrés dans une vaste enceinte circulaire, j’ai eu la sensation d’être dans une forêt de cryptomerias géants qui faisait tamiser la lumière du soleil. J’ai composé une mélodie avec un xylophone indonésienne à la disposition des visiteurs.  Elle retentit à travers des piliers et des traverses qui couvraient le ciel comme dans la profondeur de la forêt indonésienne. J’ai pris mon temps à ma guise pour flâner dans ce musée bâti au fin fond des montagnes de Yôka.

 

Une longue passerelle traversait le bâtiment circulaire par deux ouvertures rectangulaires d’environ huit mètres d’hauteur.  Elle se prolongeait au milieu des arbres à la hauteur de cinq mètres sur l’alignement de colonnes en béton espacées d’une dizaine de mètres. Je marchais seul vers l’extrémité de la passerelle pour me sentir en fusion avec ces montagnes qui commençaient à devenir jaunes-rouges. Philippe était aussi seul loin derrière moi. J’avais l’impression qu’il ressentait la même chose que moi dans ses pas solitaires.

 

Un sentier forestier descendait du bout de la passerelle vers le village où nous avons pris le taxi. Nous nous y sommes lancés sans hésitation d’une part par le souci de l’économie, et aussi par l’enchantement de la découverte de la nature japonaise à travers la forêt. La descente a duré deux heures en passant par une partie touffue de la forêt, une prairie ensoleillée où un beau chalet vide était sur la colline, et des chemins campagnards bordés de susukis (graminés géants).

 

Nous sommes arrivés devant un hôtel moderne mais qui avait l’air de la camelote à cause de la façade extravagante que l’on pourrait même qualifier de mauvais goût. Nous y sommes entrés pour emprunter un téléphone pour appeler l’unique taxi de la vallée. Personne ne répondit à notre salut à l’accueil. Par contre, une odeur aigre-douce de cigarette y flottait. De deux choses l’une, soit l’hôtel était fermé, donc le propriétaire fumait librement chez lui, ou bien il était ouvert, mais dans ce cas, il était hors la loi. Cette rêverie polémique et inutile fut vite interrompue par l’arrivée d’un homme d’apparence agréable. Il nous demanda gentiment ce que nous désirions. Puis, il appela de suite le taxi en tutoyant l’interlocuteur du portable.

 

Le même taxi était là au bout de dix minutes devant l’entrée de l’hôtel. La conductrice d’une cinquantaine d’années nous reconnut avec un sourire familier. Je lui ai dit que cette course ne sera pas longue, juste jusqu’à Hatchikita Onsen, où était le terminus de la navette locale. Qu’importe, elle appuya sur l’accélérateur en me demandant si nous avions fait une bonne balade au soleil. J’avais l’impression qu’elle avait plus besoin de bavarder avec des clients que de gagner quelques yens de plus.

 

Hatchikita Onsen est un lieu-dit dans une impasse que mène une petite route serpentant une vallée escarpée vers les hautes montagnes. Il est aussi connu comme une station thermale de la région. Nous avions environ deux heures et demi jusqu’à la prochaine navette.  Nous sommes donc entrés dans un établissement pour prendre un déjeuner tardif et un bain bien mérité.  Parmi plusieurs bassins intérieur et extérieur, il y en avait un qui s’appelait bassin de « nano-bulles au radon ».  En effet, un gros robinet déversait de l’eau chaude légèrement blanchâtre à cause des très fines bulles. Au début, nous étions un peu hésitants d’y entrer connaissant que le radon est un gaz radioactif. Une explication quasi-scientifique au-dessus du bassin vantant les mérites du radon à dose infinitésimale nous avait poussés à ignorer tout danger de la radioactivité. Puis nous nous sommes dit qu’un pays ultra-sensible à ce fléau ne pourra pas piéger son peuple. Et après tout, tout élément sur terre pourrait être plus ou moins radioactif…..Bref.

 

Nous étions assis dans une navette vide un peu épuisés de la journée sportive, surtout du bain thermal au radon. Mais nous nous sentions  propres avec la peau toute lisse, et rayonnants de bonnes humeurs. Il a fallu seulement quinze petites minutes pour descendre jusqu’à la route départementale où desservait un réseau de bus jusqu’à la gare de Yôka. Le chauffeur de la navette de type débonnaire nous a répété d’attendre le bus juste à côté de l’arrêt, sinon il risquerait de ne pas s’y arrêter. Une longue journée d’excursion s’achevait avec une sensation de faim d’ogres.

 

La consommation de bœuf avait été introduite par des Occidentaux lors de l’ouverture du Japon.  Et dans la même foulée, une recette du sukiyaki avait été inventée à Kôbé (grande ville portuaire près d’Osaka) où un élevage de bovins commença avec des taureaux de Tajima. Les Japonais commencèrent à manger de bœufs surtout pour des grandes occasions comme le jour du salaire, ou lorsqu’ils recevaient des invités d’honneur.  Le sukiyaki était devenu ainsi un plat de cuisine représentatif du Japon pendant très longtemps. Par ailleurs, dans les années soixante, une chanson japonaise dénommée « Sukiyaki song » avait occupé le numéro un du hit-parade du magazine « Billboard » durant trois semaines aux Etats Unis. Ceci dit, la parole n’avait absolument rien à voir avec la recette.

 

La même serveuse d’hier est venue avec un salut souriant pour allumer le réchaud à gaz. Sur la table, il y avait une grande assiette garnie de fines lamelles de bœuf persillé, et une autre avec des ingrédients de sukiyaki comme des poireaux coupés en dix centimètres de longueur, des shiratakis (konjak en gelé haché en fines nouilles), des champignons shiitaké, des cubes de tôfus grillés, des choux de chine, et des feuilles de chrysanthème.  Elle maniait tout ce qui se trouvait sur la table à main d’experte pour nous préparer  le plat; elle mettait, d’abord, un petit morceau de graisse de bœuf sur la grande marmite plate en fonte bien chauffée. Elle le faisait fondre en frottant avec des baguettes longues partout l’intérieur de la casserole.  Une fois bien graissée, elle y a ajouté quelques lamelles de bœuf, puis un bouillon préparé de l’eau, du sucre, du mirin (alcool du riz), et du shôyu (sauce de soja) et du saké.  Au frémissement du bouillon, elle posait délicatement chaque ingrédient dans la marmite de manière à ce que l’ensemble se montre comme un art floral. Elle nous a conseillé de ne pas le laisser cuire trop longtemps. L’esprit de la cuisine japonaise est toujours le même à savoir qu’il faut déguster chaque aliment au goût initial préservé.

 

J’ai touillé un œuf cru cassé dans un petit bol en céramique.  Puis j’ai pris avec mes baguettes une fine tranche de viande mi cuite bien fumante pour tremper dans l’œuf, et je l’ai mise délicatement dans la bouche en tenant le bol dans la main gauche. La viande juteuse enrobée de l’œuf cru se fondait sur mon palais.

 

Philippe a pris un tokkuri de saké chaud (une petite carafe en céramique ou de porcelaine d’environ 360ml) pour me servir dans mon tchoko (petite coupe de la même matière que le tokkuri qui peut contenir juste une gorgée de saké). La politesse veut que lorsque l’on propose un coup, la coupe doit être vidée. Je l’ai donc vidée comme on l’entend, et je l’ai tendue à la hauteur de sa main droite qui tenait la bouteille bien chaude. Un bon saké doit être chauffé au bain-marie à la température de la peau. A mon avis, ce n’était pas le cas pour cette bouteille. La politesse veut également que celui qui a eu une offre doit en rendre une autre. J’ai pris mon tokkuri pour lui en proposer une gorgée. Tantôt nous offrions mutuellement un service du saké au respect de la coutume, tantôt nous piochions par nos baguettes des ingrédients dans la marmite de sukiyaki. Et ainsi de suite.

 

Si le repas en France était linéaire et individuel à savoir qu’il y a successivement une entrée, un plat de résistance pour chacun, le repas au Japon serait souvent un partage de plats entre les convives. Bien sûr, il y a des plats traditionnellement individualisés comme un bol de riz, un bol de nouilles, ou un bol de misoshiru (soupe de pâte de soja), mais différents mets cuisinés présentés d’emblée sur la table sont naturellement  partagés par tous.

 

Il y a quelque temps, j’avais dîné à Paris dans un restaurant qui s’affichait «japonais ».  J’avais commandé comme au Japon un bol de riz, un bol de miso-soupe (misoshiru), et deux plats cuisinés. Je m’attendais à avoir tous les plats en même temps, et je me réjouissais de manger à la japonaise en piochant dans tout ce que j’aurais sur la table.  Un quart d’heure plus tard, un serveur m’emmena un bol de miso-soupe avec une cuillère. Sur le coup, un sentiment de retenue m’empêcha de prendre le bol en main. J’avais failli dire que le misoshiru se mangeait alternativement avec du riz, ou d’autres mets. Mais je me disais que cela aurait été vexant de faire une leçon pareille. Bref, à Rome, il faut manger comme à Rome.  J’ai pris donc le bol pour manger la miso-soupe avec la culière. J’étais tellement frustré, à vrai dire, de ne pas pouvoir déguster à ma guise une bouchée de riz, une gorgée de misoshiru, et un morceau de mets cuisinés que je m’étais décidé de ne plus revenir dans ce restaurant avant même que je finisse mon repas. Bref ce fut une expérience enrichissante de manger japonais à la manière linéaire.

 

Les Français prennent traditionnellement le déjeuner comme le repas principal de la journée. Ce serait certainement plus raisonnable de bien manger au milieu de la journée que de s’empiffrer de bonnes choses le soir. Cela dit, les Japonais ont une approche différente devant chaque repas journalier. Ils ont besoin d’être libérés du travail pour pouvoir enfin s’assoir devant un repas principal. Le déjeuner n’est donc qu’une pause mécanique pour s’alimenter en quelques minutes dans la continuité de la journée. Il n’est pas question, non plus, d’y consommer de l’alcool, y compris de la bière. Le respect du travail, ou plutôt de la règle sociale est avant tout sacré dans leur conscience collective. Il y a longtemps, une Première Ministre française avait dit que les Japonais travaillaient comme des fourmis. Mis à part le côté péjoratif de l’expression, elle n’avait pas tort de souligner un conformisme de ce peuple insulaire, un peuple qui a toujours dicté par lui-même  son propre histoire sans connaitre aucune forme de colonisation par les pays tiers.  Cependant, ce n’est surement pas un conformisme de masse qui s’enchaine à l’identique, mais c’est une discipline de marathoniens où chaque coureur  pousse soi-même à surpasser la limite tout en se fondant dans la masse.     Il y a une lutte perpétuelle contre soi-même dans la solitude.

 

Le déjeuner est donc sacrifié dans le rythme quotidien de chaque japonais. Ceci dit, je ne suis pas en train de dire que les Japonais mangent n’importe quoi au déjeuner.  Ils mangent en un quart d’heure, mais la qualité du déjeuner est aussi sacrée. Il y a donc milles variétés de plats de déjeuner, y compris des bentos.  Ils n’ont pas peur de faire une queue devant un restaurant. Ils savent qu’au bout de quelques minutes, ils seront installés à l’intérieur.  Puis un serveur vient chercher une commande dans la queue pour écourter le temps d’attente. Le flux tendu n’est pas une terminologie valable seulement dans les usines d’automobile, mais également dans la vie quotidienne des Japonais. Car notre système social est toujours animé par un souci de ne pas déranger les autres (méiwaku kakénai).  Il n’y a pas des gens qui s’éternisent à table au déjeuner pour ne pas déranger le flux tendu.

 

 

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15 novembre 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

 

 Conte 14.    Héritages culturels à Kanazawa

 

D’après un prospectus qu’on a feuilleté au salon de l’hôtel, la ville de Kanazawa est réputée comme celle où le nombre de restaurants est le plus élevé au Japon. En effet, où que l’on aille, on voit des restaurants, des izakayas ou des petits bistros, des bars. Dans cet embarras de choix,  nous n’avons pas hésité une seconde, ce soir-là, pour choisir un izakaya recommandé par notre homme d’accueil de l’hôtel;  de plus, il est à deux minutes de notre hôtel, juste au carrefour de Katamachi. Cependant, il ne faudra pas imaginer un beau restaurant avec des tables bien ornementées. Ce fut exactement le contraire. En montant des escaliers extérieurs couverts d’un linoleum où, sur chaque face verticale de marche, il y avait un racolage de publicités répétées, nous avons été accueillis par un cri de bienvenue poussé par un serveur. L’izakaya était rempli de vacarmes joyeux. La table était simplement bricolée d’une planche et une caisse de bière en bois. Par contre, on était entouré d’aquariums où des daurades, des chinchards, des bonites, des turbots, des crevettes, des poulpes, des crabes, ou pleins d’autres nageaient avec une allure vive. Bref cet izakaya se voulait d’être comme une poissonnerie servant directement la fraicheur de la mer aux consommateurs.

 

Nous avons commandé immédiatement, comme la coutume voulait, une pinte de bière pression (Nama-Tchû) en attendant de choisir des plats et des boissons. Parmi des dizaines de plats, j’ai choisi un grand plat de sashimis (poissons crus taillés en des bouchées de rectangle: des thons, des daurades, des chinchards, des poulpes, des sèches, plusieurs variétés de coquillages), disposés comme faisant imaginer un paysage marin sur un plateau en forme d’un chalutier, un sanma grillé (poisson  appelé cololabis saira n’existe qu’au nord du Japon), des mozuku (vinaigré d’algues fines comme des cheveux), des salades de la mer, et des misoshiru (soupe à la pâte de soja avec du poisson), puis bien sûr du saké local. Lorsque nos pintes sont à moitié vides, le serveur nous amène tous les plats en même temps. Le repas en izakaya n’est pas linéaire comme dans un restaurant en France. Tous les plats sont amenés en même temps. On fait fleurir la table de tous les plats, et chacun se sert avec ses baguettes sur son assiette ce qui lui convient.

 

Bien entendu, il n’y a pas de couverts (fourchette, couteau) à table. Seules deux baguettes sont à nos dispositions.  On pose la première sur la phalange distale de l’annulaire et la tabatière de la main utilisatrice, et on l’appui avec le pouce de la même main contre ces deux points fixes, c’est la baguette immobile. Par ailleurs, tout en gardant la première immobile, on pose la deuxième sur le phalange distale du majeur et la phalange proximale de l’index, et on l’appui avec le bout du pouce sur ces deux points fixes, c’est la baguette mobile. On manie les deux baguettes essentiellement avec le mouvement du majeur.

 

Philippe a pris une bouchée de thon rouge cru avec ses baguettes, puis l’a effleurée dans une marre de sauce de soja avant de la mettre dans sa bouche. Il a enchainé ce même mouvement, certes en dégustant la fraicheur de la mer à chaque bouchée, pour un morceau de noix de saint jacques crue, et une lamelle de tentacule de poulpe. Ensuite, il a posé ses baguettes pour reprendre sa petite coupe de saké chaud. J’imaginais malignement que s’il avait mangé du thon cru avec une fourchette métallique, ou à la main, il n’aurait peut-être pas produit un effet raffiné dans son geste de gustation.

 

Les baguettes furent introduites à table au Japon au début du 7ème siècle de l’Empire des Sui  par l’ambassadeur japonais Onono Imoko.

 

Dans la vielle ville de Lübeck en Allemagne, il y a un très vieux restaurant de l’époque de la Hanse du 15ème siècle.  Les commerçants, les marins s’y attablèrent à la tombée de la nuit pour discuter chaudement de leurs aventures sur les mers de nord agitées. A la sortie du restaurant, il y a une bassine et un grand pot d’eau en porcelaine. J’avais demandé par curiosité à une serveuse à quoi servaient ces ustensiles d’eau.

 

Au bout d’une discussion animée entre les convives, ils se levèrent en bagarre en saisissant le couteau de table. Le couteau fut ainsi banni de la table, de même que la fourchette qui faisait office de l’instrument du diable. Les convives mangeaient donc avec les doigts dans ce restaurant. A la sortie, ils se rincèrent les mains avec de l’eau chaude sur la bassine.

 

En France, la fourchette fut introduite à l’époque de Catherine de Médicis par l’Italie. Cependant les Rois de France préférant manger avec les doigts, la généralisation de la fourchette avait été retardée jusqu’au siècle des Lumières, parait-il.

 

En effet, les Japonais sont souvent appelés un peuple de pêcheurs tandis que les Occidentaux des chasseurs.  C’est vrai que les Japonais mangeaient très peu de viande avant l’ouverture du pays en 1868, et que la seule source d’apport en protéine était de poissons ou de soja. Il serait drôle de voir les Japonais tremper des bouchées de sashimi dans une marre de sauce de soja à la main, ou manger un bol de riz avec les doigts. C’est tellement commode de décortiquer un poisson grillé des arrêtes avec des baguettes. Par contre, lorsqu’on parle d’un festin en occident, on imagine bien un gros morceau de viande pris entre les doigts.

 

Ou encore, lorsqu’on commande un steak au Japon, le steak est souvent servi prédécoupé en petites bouchées (avec une cuisson voulue). L’acte de couper ne ferait-il pas partie du repas au Japon ? A table on se sert juste ce qu’on met dans sa bouche avec des baguettes. D’autant plus que les Japonais samurais étaient toujours munis d’un grand sabre et un petit sabre, et leurs femmes d’un couteau. Il n’était pas concevable, en temps normal, de dégainer le sabre ou le couteau devant les gens. L’élégance à table avait été initiée ainsi. Peut-être.

 

Le côté rudimentaire de la poissonnerie oublié, notre conversation en français se mêlait naturellement aux vacarmes joyeux de l’izakaya.

 

A suivre

9 juillet 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

 

Conte 13:     Héritages culturels à Kanazawa

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Les quartiers des anciennes demeures de Samurai se situent non loin du château de Kanazawa où résidait la lignée des Gouverneurs Maéda.  Les  murs délimitant chaque propriété sont ornementés de tuiles.  La qualité artistique de tuiles et la hauteur du mur étaient le synonyme de l’importance de la famille.  Avec une grandeur de la demeure qu’on pouvait entrevoir au-dessus du mur, c’était un signe extérieur d’ostentation pour que l’homme de la rue puisse imaginer l’influence.  

 

Aujourd’hui des petits musées ou des boutiques des articles traditionnels se mettent parmi des anciennes maisons de vassaux de Maéda. Nous avons été attirés par une maison de style ancien précédée par un portail avec deux portes coulissantes.  Une femme en kimono nous a priés de bien vouloir entrer à l’intérieur de la boutique qui exposait des centaines de céramiques de la région. Après avoir enlevé nos chaussures, nous avons franchi une marche pour pénétrer à  l’intérieur de la maison en tatami. Deux femmes d’accueil nous ont salués gracieusement souhaitant la bienvenue. Nous avons déposé d’abord nos sacs à dos bien chargés à côté de l’entrée pour ne pas nous comporter comme des éléphants dans le magasin de porcelaines.

 

La céramique de la région de Kanazawa s’appelle Kutani Yaki, qui avait été lancé par le premier gouverneur Maéda au milieu du 17ème siècle. Il y a des bols, des tasses, des assiettes, des vases petits, grands, plats, ou hauts, avec des motifs comme des estampes japonaises dessinés à la main. Ce sont surtout des pièces d’art appréciées dans le cadre de la cérémonie du thé, de l’arrangement floral, ou des décorations  de la maison. Ils sont rarement utilisés comme des ustensiles ménagers de la vie quotidienne.  Le prix varie donc de 10 euros à des centaines de milliers d’euros la pièce. Bref la beauté raffinée du Kutani yaki n’a pas de prix pour les connaisseurs, nous persuadâmes-nous en achetant respectivement 6 assiettes et un vase.

 

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Il n’est pas excessif de dire que la culture zen constitue une base spirituelle des Japonais. La cérémonie du thé, l’arrangement floral, l’aquarelle en encre de chine sont tous nés dans cette pratique.  Les Japonais ne cherchent pas simplement à apprendre à boire du thé, ou à faire un arrangement floral, ou à dessiner une aquarelle.  Il y a ,certes, une communication spirituelle entre soi et l’environnement tels que le hôte qui prépare du thé pour une cérémonie, une fleur dans un vase placé dans une pièce sobre, un bol de thé donc une céramique de maître, ou des branches d’arbres en ombre chinoise à travers une fenêtre de papier, de même qu’entre soi et un arrangement qui se crée avec chaque branche de fleur, ou entre soi et un pinceau imbibé à la touche du papier prêt à transmettre la puissance de la vie sur le papier. Les Japonais ont toujours vécu inconsciemment dans cette culture de dialogue avec l’environnement qui les entoure. Nous avons besoin d’entendre la voix discrète de tout notre entourage que ce soit de l’eau, un arbre, une montagne, le soleil, la lune, du vent, un maître, un disciple, autrui, un bol, un vase, des branches en ombre chinoise, ou d’autres.

 

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Le zen est une variante du bouddhisme introduit au Japon de la dynastie Song en 13ème siècle par le bonze Dôgen. L’enseignement est que chaque homme a l’âme du bouddha à l’intérieur de soi-même. Il s’agirait donc de la retrouver à travers une méditation appelée Zazen (méditation en position assise en lotus).

 

Daisetz Suzuki, un bon camarade de classe à Kanazawa avec Kitaro Nishida, s’orienta lui aussi vers la philosophie bouddhiste.  En publiant une centaine d’ouvrages dont une vingtaine en anglais sur le zen, il contribua ainsi à faire partager ses pensées bouddhistes avec des occidentaux. Il se maria en 1911 avec Beatrice Lane qui était une adepte de  la théosophie au collège Radcliffe. Et lui-même il en devenu un adepte lors de son passage en Inde. Ce qui est surprenant à l’époque d’un nationalisme naissant est qu’une pensée commune liait un Japonais bouddhiste et une Américain évoluée inséparables. Les pensées de Suzuki consistaient à admettre « la conscience de la spiritualité »dans l’essence du bouddhisme. C’est-à-dire qu’à travers une méditation en zazen, on atteint un domaine où la spiritualité deviendrait illuminante.  Comme il pensait que cette conscience était universelle, il publia beaucoup d’ouvrages en anglais pour la partager plus largement possible. 

 

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Ando a interprété les pensées de Kitaro Nishida en un musée comme le Parthénon. De même, Yoshio Taniguchi a traduit magnifiquement les pensées de Daisetz Suzuki en un bâtiment de musée en 2010 comme un miroir de conscience.

 

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Un long couloir obscur au bout duquel la lumière de jour par une petite ouverture sur le jardin projette comme une illumination dans une pensée incertaine.  Un grand camphrier centenaire dans le jardin extérieur  se reflète comme sur un miroir sur la cour intérieure remplie de l’eau limpide. Au milieu de cette eau, se jette comme un îlot un espace de contemplation où chaque visiteur assis immobile sur le tatami traverse à travers le miroir de conscience pour atteindre le domaine de la spiritualité.

 

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Beatrice et Daisetz reposent dans un cimetière de Kanazawa non loin du musée dédié à la mémoire du philosophe.

 

 

A suivre

16 mai 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

 Conte 12:   Héritages culturels à Kanazawa

 

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Nous sommes descendus dans une salle au premier étage de l’hôtel où une dizaine de personnes étaient déjà installées pour prendre le petit déjeuner dans un silence un peu étouffant.  Il y avait un buffet japonais, et un buffet occidental. Le réceptionniste arpentait seul entre la cuisine et la salle à manger pour servir des mets manquants dans les bacs de buffets, ou revenait à la hâte au comptoir pour préparer la note des gens au départ.

 

Après un petit déjeuner copieux, nous avons pris le temps pour savourer un expresso dans une ambiance qui me semblait beaucoup plus réchauffée qu’avant, déchirée de temps en temps par un tintamarre du réceptionniste.  Je lui ai demandé d’ailleurs quel était le meilleur Izakaya du coin pour ce soir. Il était ravi de m’expliquer dans une voix résonnante son meilleur Izakaya avec un plan de la ville à l’appui.  Philippe gérait entre temps ses affaires en cours  en lisant des e-mails envoyés de son cabinet via l’internet gracieusement mis à disposition des clients. Des rayons de soleil matinal entraient dans la salle pour annoncer une bonne journée longue.

 

Assis dans un train omnibus composé de deux voitures avec un store baissé à moitié pour éviter d’avoir du soleil dans les yeux, nous nous concentrions, chacun, sur son occupation du temps de transition: Philippe ouvrait son journal en anglais acheté à la gare de Kanazawa, et moi, je regardais vaguement le paysage paisible des maisons traditionnelles entourées de bois de bambous,  des champs de riz, ou des écoliers en uniforme.

 

Peut-être une demi-heure de rêvasserie passée à travers la fenêtre, une diffusion radiophonique annonçant l’arrivée prochaine à la gare d’Unoki me fit revenir à une urgence pour faire préparer Philippe à la descente du train.

 

Devant une gare déserte avec une petite place où seul un petit véhicule pourrait faire un demi-tour, un taxi était stationné comme si c’était un seul moyen de transport dans ce village. J’ai demandé au chauffeur comment aller au musée philosophique de Nishida Kitaro.  C’était avec une grande disponibilité et une efficacité qu’il m’a indiqué le chemin le plus court à 20 minutes à pieds. En guise du remerciement, je lui ai demandé de nous y emmener avec son taxi.

 

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La portière arrière du taxi s’est ouverte automatiquement.  L’ouverture et la fermeture de la portière arrière est toujours actionnée par le conducteur au Japon. De plus, les clients doivent toujours entrer ou sortir par la portière du côté trottoir pour leur sécurité. 

 

A peine dix minutes de trajet passées, nous étions devant l’entrée du musée situé sur une colline vaste, d’où on voyait la plaine de la région de Kanazawa jusqu’au loin. Lorsque j’ai vu le musée au loin dans le taxi en montant une pente, j’avais un drôle de sensation qu’il était érigé comme le Parthénon face à un grand espace. Ando disait dans son livre qu’un art plastique stylisé comme le Parthénon n’a jamais été créé de manière spontanée, mais sur une raison humaine avec une volonté implacable de l‘homme.

 

Nishida Kitaro était le premier philosophe au Japon tout au début du 20ème siècle qui a créé une voie authentique de pensées composant de la pensée bouddhiste et de la philosophie occidentale.  Et certainement il en était le dernier. Il avouait que sa vie était extrêmement simple à savoir qu’en première partie, il était assis face au tableau noir, et en dernière partie, il était assis le tableau noir sur son dos.  Il y avait de difficultés de la vie, de chagrins, de rudes combats de pensées durant 75 ans de sa vie.

 

Je pense que la première interrogation d’Ando en dessinant ce musée était de rechercher comment traduire dans son esquisse les combats perpétuels dans les pensées que menait ce philosophe émergeant dans un Japon de civilisations mixtes.

 

 Ando voyait que la philosophie est une démarche perpétuelle de réflexions dans un dédale de pensées. La première idée en était venue donc pour imaginer un bâtiment comme un dédale où il y a, de temps en temps, un espace de méditations qu’il appelle « foyer » pour retrouver son chemin.  Ces foyers ont été créés avec des jeux de lumières naturelles et de l’ombre, et de formes de paroi en béton pour favoriser la contemplation de chacun.  

 

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Puis il pensait aussi que la philosophie est une démarche de dialogues soit avec autrui ou avec soi-même.  Plusieurs espaces de dialogues ont été conçus dont une petite cafétéria qui suscite l’envie de s’asseoir devant un confort citadin associé dans une harmonie de béton et de bois.

 

Nous avons commandé un café et un gâteau dans une sérénité comme si quelque chose avait été accompli.

 

Baignés dans une chaleur du soleil automnal, nous avons suivi le temps qui coulait lentement.

Un couple d’occidentaux nous ont croisé à l’accueil. Ils descendaient l’escalier vers le sous-sol en échangeant quelques mots en français.

He, Philippe ! Tes compatriotes, peut-être tes confrères….         Va leur dire bonjours.

 

Quels étrangers viendraient jusqu’au village d’Unoki perdu dans la plaine de Kanazawa pour visiter exprès ce musée, sinon quelques adeptes éclairés d’Ando ?  Ils sont entrés dans le dédale et nous en sommes sortis.

 

A suivre

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8 mai 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

Conte 11:        Héritages culturels à Kanazawa

 

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A la bataille décisive de Sekigahara en 1600 entre le clan Toyotomi et le clan Tokugawa pour déterminer le futur maître du Japon qui, jusque-là, était régné par des seigneurs belliqueux,  le gouverneur Maéda de la ville de Kanazawa prit position sans hésitation pour le clan Tokugawa à l’époque où le calcul retors, la trahison étaient des mots utiles dans les mœurs de seigneurs.  Après avoir accompli des exploits braves au sein des 70000 soldats d’allier pour mater le clan Toyotomi qui était massé plus nombreux avec quelques 80000 soldats, il fut récompensé par le Shogun Tokugawa Iéyasu en devenant le plus riche seigneur du clan Tokugawa avec ses rétributions annuelles d’un million de koku de riz (1 koku = environ 180 litres). La ville était donc restée prospère durant toute l’ère Edo.

Par ailleurs, le Shogun Tokugawa permit diplomatiquement à tous les seigneurs (appelés daimyô) aussi bien des vainqueurs que des vaincus d’avoir une demeure à Edo, où étaient invités à vivre auprès du Shôgun leurs femmes et leurs fils héritiers. Puis petit à petit, cette permission se transforma en un devoir.  Le Shôgun instaura ainsi un système d’otages qui obligea chaque seigneur de venir à Edo pour montrer leurs pattes blanches au Maître du Japon (appelé Sankin Kôtai). La fréquence de voyage était d’un voyage tous les trois ans avec un séjour de 100 jours à Edo.

 

Fort d’une prospérité de Kanazawa, le gouverneur Maéda emmena 2000 vassaux en cortège à chaque voyage à Edo, ce qui lui aurait coûté une somme faramineuse d’ environ 14 millions d’euros pour un voyage aller-retour sachant qu’il y a plus de 500 km à pieds entre Edo et Kanazawa. Ce fut aussi une ruse du Tokugawa pour affaiblir le pouvoir financier de chaque seigneur.

Ainsi la paix de l’ère Edo a duré tout le règne du Shogun Tokugawa de 1603 à 1868 au détriment financier et sentimental de chaque daimyô.

Fort heureusement, Kanazawa n’a pas été touché par le bombardement de la dernière guerre mondiale. Les héritages historiques de l’époque d’Edo comme des allées traditionnelles avec des demeures de Samurai, ou des quartiers d’auberges traditionnelles avec du commerce des artisanats locaux ont été bien préservés.  Kanazawa est une ville culturelle qui fait entrevoir la prospérité d’antan à travers des artisanats traditionnels comme la teinture sur tissu, la céramique, des feuilles d’or fines pour ornements, la fabrication du koto (instrument musical traditionnel avec 7 cordes joué par une femme assise), des boitiers laqués, etc.

L’origine du nom Kanazawa pourrait venir d’une légende contant de pépites d’or découvertes dans une rivière de la ville. Ceci dit, les mines d’or de Kanazawa avaient été abandonnées il y a longtemps. Par contre, il y a développé une spécialité d’artisanat de feuilles d’or. On en utilise pour la décoration de pièces laquées, de tissages, ou de la céramique. En effet,  Kanazawa s’écrit en calligraphie une rive de rivière d’or.

Devant la gare de Kanazawa, nous avons pris un bus local pour aller au centre-ville commerçant appelé Katamatchi, où était situé notre hôtel.  Initialement, j’avais réservé 3 nuits dans une auberge de jeunesse de Kanazawa. Mais deux mois avant notre départ, elle m’a contacté pour dire que l’auberge sera désormais  fermée définitivement. Il n’y avait pas assez de fréquentation à cet endroit à cause des nombreux hôtels dits « low cost ».

Notre hôtel se situait juste derrière le grand carrefour de Katamatchi au calme. L’accueil était correct, mais seulement en Japonais. Lorsque l’on a vu notre chambre à deux lits séparés assez spacieuse et très propre avec une douche et WC, on s’est dit de suite que l’on resterait une semaine dans cet hôtel…  Environ 35 euros par personnes avec un petit déjeuner au buffet (donc à volonté) compris.

Le personnel d’accueil nous a prêté deux grands parapluies et un plan de la ville pour aller au musée Kanazawa du 21ème siècle d’arts contemporains. Il pleuvait continuellement à l’extérieur. Comme l’après-midi avançait surement, nous avons pris un taxi pour gagner du temps.

Le musée Kanazawa du 21ème siècle d’arts contemporains est  un bâtiment géométrique inattendu dessiné par SANAA (Association de Mme. Sejima et Mr. Nishizawa). Depuis l’ouverture en octobre 2004, plus de 1.3 millions de visiteurs ont fait la queue chaque année.

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Un grand cylindre, qui dessine le contour du bâtiment, contient des cubes petits et grands, des parallélépipèdes rectangles petits et grands, et un petit cylindre dont le toit de l’ensemble fait horizontalement relief à cause de la différence de la hauteur de  chaque pièce. Ces pièces sont agencées de manière à ce que les couloirs en damier soient formés entre les pièces qui font elles-mêmes les salles d’exposition. Les mots clef de la construction étaient de « facilité d’accès, Joyeux, facilité d’utilisation », ce qui est un peu différent de musées traditionnels. Le concept du bâtiment en a découlé ainsi : la multi-direction, l’horizontalité, la transparence.

Comme le musée avec sa forme cylindrique est entouré de la rue en 3 directions, la multi-direction voulait signifier qu’on peut y accéder de partout sans passer forcément par la porte principale.

Les salles d’exposition, le café-restaurant, la librairie d’arts sont disposés horizontalement sur un seul étage pour créer une atmosphère de la ville en circulant dans les couloirs du musée. C’est l’effet escompté par l’horizontalité.

A travers des murs intérieurs et extérieurs en vitres du bâtiment, SANAA voulait mettre l’accent sur la clarté, la transparence, et l’ouverture. En même temps, il y a une mise en scène voulue par cette transparence pour les visiteurs qui peuvent s’observer mutuellement à travers des cloisons transparents.

Un couloir rectangulaire transparent entouré de plantes variées de la région a été conçu en 2004 par le biologiste français Patrick Blanc. Les plantes changent de l’aspect selon les saisons, donc le couloir avec.

Il y a des expositions vraiment étonnantes comme « la piscine » créée par l’argentin Leandro Erlich, « Bleu Planet Sky » par l’américain James Turrell,  « Klangfeld Nr.3 für Alina » par l’allemand Florian Claar, « Siren » par le coréen Lee Bul, « I am here, but Nothing » par le japonais Kusama Yayoi, « l’anneau de traversins » par la française Annette Messager, « Map » par la libanaise Mona Hatoun, « Platon’s Orgel » par le japonais Kawasaki Kazuo, « l’homme qui mesure des nuages » par le belge Jan Fabre, ou pleins d’autres.

Chaque créateur choisit ses matériaux, ses couleurs, ses lumières, ses ombres, ses positions pour exprimer ses sensations, ses satisfactions, ses frustrations, ses admirations, ses craintes, ses dégouts, ses joies, ses interrogations, ou d’autres dans une liberté choisie par lui-même. Je dirais que c’est un art qui est né de la profondeur de l’égo.  Je conseillerais donc à chaque visiteur d’être muni d’une boussole pour ne pas perdre la sortie.

SANAA a talentueusement contribué à la réalisation d’un musée « ouvert » où les visiteurs se sentiraient comme ceux d’un parc d’attractions.  D’ailleurs, je me réjouirai de voir l’ouverture prévue en 2014 du grand magasin Samaritain à Paris rénové également par SANAA.

La pluie tombait continuellement sur Kanazawa.

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18 mars 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

 

Conte 10:    Un Parthenon au milieu de la plaine de Kanazawa

 

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Nous sommes descendus dans une salle au premier étage où une dizaine de personnes étaient déjà installées pour prendre le petit déjeuner dans un silence un peu étouffant.  Il y avait un buffet japonais, et un buffet occidental. Le réceptionniste arpentait seul entre la cuisine et la salle à manger pour servir des mets manquants dans les bacs de buffets, ou revenait à la hâte au comptoir pour préparer la note des gens au départ.

 

Après un petit déjeuner copieux, nous avons pris le temps pour savourer un expresso dans un silence qui me semblait beaucoup moins étouffant qu’avant, brisé de temps en temps par un tintamarre du réceptionniste.  Je lui ai demandé d’ailleurs quel était le meilleur Izakaya du coin pour ce soir. Il était ravi de m’expliquer dans une voix résonnante son meilleur Izakaya avec un plan de la ville à l’appui.  Philippe gérait entre temps ses affaires en cours  en lisant des E-mails via l’internet gracieusement mis à disposition des clients. Des rayons de soleil matinal entraient dans la salle pour annoncer une bonne journée longue.

 

Assis dans un train omnibus composé de deux voitures avec un store baissé à moitié pour éviter d’avoir du soleil dans les yeux, nous nous concentrions, chacun, sur son occupation du temps perdu: Philippe ouvrait son journal en anglais acheté à la gare de Kanazawa, et moi, je regardais vaguement le paysage paisible des maisons traditionnelles entourées de bois de bambous,  des champs de riz, ou des écoliers en uniforme.

 

Peut-être une demi-heure de rêvasserie passée à travers la fenêtre, une diffusion radiophonique annonçant l’arrivée prochaine à la gare d’Unoki me fit revenir à une urgence pour faire préparer Philippe à la descente du train.

 

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Devant une gare déserte avec une petite place où seul un petit véhicule pourrait faire un demi-tour, un taxi était stationné comme si c’était un seul moyen de transport dans ce village. J’ai demandé au chauffeur comment aller au musée philosophique de Nishida Kitaro.  C’était avec une grande disponibilité et une efficacité qu’il m’a indiqué le chemin le plus court à 20 minutes à pieds. En guise du remerciement, je lui ai demandé de nous y emmener avec son taxi.

 

La portière arrière du taxi s’est ouverte automatiquement.  L’ouverture et la fermeture de la portière arrière est toujours actionnée par le conducteur au Japon. De plus, les clients doivent toujours entrer ou sortir par la portière du côté trottoir pour leur sécurité. 

 

A peine dix minutes de trajet passées, nous étions devant l’entrée du musée situé sur une colline vaste, d’où on voyait la plaine de la région de Kanazawa jusqu’au loin. Lorsque j’ai vu le musée au loin dans le taxi en montant une pente, j’avais une drôle de sensation qu’il était érigé comme le Parthénon face à un grand espace. Ando disait dans son livre qu’un art plastique stylisé comme le Parthénon n’a jamais été créé de manière spontanée, mais sur une raison humaine avec une volonté implacable de l‘homme.

 

Nishida Kitaro était le premier philosophe au Japon tout au début du 20ème siècle qui a créé une voie authentique de pensées composant de la pensée bouddhiste et de la philosophie occidentale.  Et certainement il en était le dernier. Il avouait que sa vie était extrêmement simple à savoir qu’en première partie, il était assis face au tableau noir, et en dernière partie, il était assis le tableau noir sur son dos.  Il y avait de difficultés de la vie, de chagrins, de rudes combats de pensées durant 75 ans de sa vie.

 

Je pense que la première interrogation d’Ando en dessinant ce musée était de rechercher comment traduire dans son esquisse les combats perpétuels dans les pensées que menait ce philosophe émergeant dans un Japon de civilisations mixtes.

 

 

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Ando voyait que la philosophie est une démarche perpétuelle de réflexions dans un dédale de pensées. La première idée en était venue donc pour imaginer un bâtiment comme un dédale où il y a, de temps en temps, un espace de méditations qu’il appelle « foyer » pour retrouver son chemin.  Ces foyers ont été créés avec des jeux de lumières naturelles et de l’ombre, et de formes de paroi en béton pour favoriser la contemplation de chacun.  

 

Puis il pensait aussi que la philosophie est une démarche de dialogues soit avec autrui ou avec soi-même.  Plusieurs espaces de dialogues ont été conçus dont une petite cafétéria qui suscite l’envie de s’asseoir devant un confort citadin associé dans une harmonie de béton et de bois.

 

Nous avons commandé un café et un gâteau dans une sérénité comme si quelque chose avait été accompli.

 

Baignés dans la chaleur du soleil automnal, nous avons suivi le temps qui coulait lentement.

Un couple d’occidentaux nous ont croisé à l’accueil. Ils descendaient l’escalier vers le sous-sol en échangeant quelques mots en français.

He, Philippe ! Tes compatriotes, peut-être tes confrères….         Va leur dire bonjours.

 

Quels étrangers viendraient jusqu’au village d’Unoki perdu dans la plaine de Kanazawa pour visiter exprès ce musée, sinon quelques adeptes éclairés d’Ando ?  Ils sont entrés dans le dédale et nous en sommes sortis.

 

 

A suivre lorsque je reviens de Kyoto au mois de mai

15 mars 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

Conte 9:    Kanazawa

 

 

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A la bataille décisive de Sekigahara en 1600 entre le clan Toyotomi et le clan Tokugawa pour déterminer le futur maître du Japon qui jusque-là était régné par des seigneurs belliqueux,  le gouverneur Maéda de la ville de Kanazawa prit position sans hésitation pour le clan Tokugawa à l’époque où le calcul retors, la trahison étaient des mots utiles dans les mœurs de seigneurs.  Après avoir accompli des exploits braves au sein des 70000 soldats d’allier pour mater le clan Toyotomi qui était massé plus nombreux avec quelques 80000 soldats, il fut récompensé par le Shogun Tokugawa Iéyasu en devenant le plus riche seigneur du clan Tokugawa avec ses rétributions annuelles d’un million de koku de riz (1 koku = environ 180 litres). La ville était donc restée prospère durant toute l’ère Edo.

Par ailleurs, le Shogun Tokugawa permit diplomatiquement à tous les seigneurs (appelés daimyô) aussi bien des vainqueurs que des vaincus d’avoir une demeure à Edo, où étaient invités à vivre auprès du Shôgun leurs femmes et leurs fils héritiers. Puis petit à petit, cette permission se transforma en un devoir.  Le Shôgun instaura ainsi un système d’otages qui obligea chaque seigneur de venir à Edo pour montrer leurs pattes blanches au Maître du Japon (appelé Sankin Kôtai). La fréquence de voyage était d’un voyage tous les trois ans avec un séjour de 100 jours à Edo.

Fort d’une prospérité de Kanazawa, le gouverneur Maéda emmena 2000 vassaux en cortège à chaque voyage à Edo, ce qui lui aurait coûté une somme faramineuse d’ environ 14 millions d’euros pour un voyage aller-retour sachant qu’il y a plus de 500 km à pieds entre Edo et Kanazawa. Ce fut aussi une ruse du Tokugawa pour affaiblir le pouvoir financier de chaque seigneur.

Ainsi la paix de l’ère Edo a duré tout le règne du Shogun Tokugawa de 1603 à 1868 au détriment financier et sentimental de chaque daimyô.

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Fort heureusement, Kanazawa n’a pas été touché par le bombardement de la dernière guerre mondiale. Les héritages historiques de l’époque d’Edo comme des allées traditionnelles avec des demeures de Samurai, ou des quartiers d’auberges traditionnelles avec du commerce des artisanats locaux ont été bien préservés.  Kanazawa est une ville culturelle qui fait entrevoir la prospérité d’antan à travers des artisanats traditionnels comme la teinture sur tissu, la céramique, des feuilles d’or fines pour ornements, la fabrication du koto (instrument musical traditionnel avec 7 cordes joué par une femme assise), des boitiers laqués, etc.

DSC_0127

L’origine du nom Kanazawa pourrait venir d’une légende contant de pépites d’or découvertes dans une rivière de la ville. Ceci dit, les mines d’or de Kanazawa avaient été abandonnées il y a longtemps. Par contre, il y a développé une spécialité d’artisanat de feuilles d’or. On en utilise pour la décoration de pièces laquées, de tissages, ou de la céramique. En effet,  Kanazawa s’écrit en calligraphie une rive de rivière d’or.

Devant la gare de Kanazawa, nous avons pris un bus local pour aller au centre-ville commerçant appelé Katamatchi, où était situé notre hôtel.  Initialement, j’avais réservé 3 nuits dans une auberge de jeunesse de Kanazawa. Mais deux mois avant notre départ, elle m’a contacté pour dire que l’auberge sera désormais  fermée définitivement. Il n’y avait pas assez de fréquentation à cet endroit à cause des nombreux hôtels dits « low cost ».

Notre hôtel se situait juste derrière le grand carrefour de Katamatchi au calme. L’accueil était correct, mais seulement en Japonais. Lorsque l’on a vu notre chambre à deux lits séparés assez spacieuse et très propre avec une douche et WC, on s’est dit de suite que l’on resterait une semaine dans cet hôtel…  Environ 35 euros par personnes avec un petit déjeuner au buffet (donc à volonté) compris.

Le personnel d’accueil nous a prêté deux grands parapluies et un plan de la ville pour aller au musée Kanazawa du 21ème siècle d’arts contemporains. Il pleuvait continuellement à l’extérieur. Comme l’après-midi avançait surement, nous avons pris un taxi pour gagner du temps.

Le musée Kanazawa du 21ème siècle d’arts contemporains est  un bâtiment géométrique inattendu dessiné par SANAA (Association de Mme. Sejima et Mr. Nishizawa). Depuis l’ouverture en octobre 2004, plus de 1.3 millions de visiteurs ont fait la queue chaque année.

Un grand cylindre, qui dessine le contour du bâtiment, contient des cubes petits et grands, des parallélépipèdes rectangles petits et grands, et un petit cylindre dont le toit de l’ensemble fait horizontalement relief à cause de la différence de la hauteur de  chaque pièce. Ces pièces sont agencées de manière à ce que les couloirs en damier soient formés entre les pièces qui font elles-mêmes les salles d’exposition. Les mots clef de la construction étaient de « facilité d’accès, Joyeux, facilité d’utilisation », ce qui est un peu différent de musées traditionnels. Le concept du bâtiment en a découlé ainsi : la multi-direction, l’horizontalité, la transparence.

Comme le musée avec sa forme cylindrique est entouré de la rue en 3 directions, la multi-direction voulait signifier qu’on peut y accéder de partout sans passer forcément par la porte principale.

Les salles d’exposition, le café-restaurant, la librairie d’arts sont disposés horizontalement sur un seul étage pour créer une atmosphère de la ville en circulant dans les couloirs du musée. C’est l’effet escompté par l’horizontalité.

A travers des murs intérieurs et extérieurs en vitres du bâtiment, SANAA voulait mettre l’accent sur la clarté, la transparence, et l’ouverture. En même temps, il y a une mise en scène voulue par cette transparence pour les visiteurs qui peuvent s’observer mutuellement à travers des cloisons transparents.

Un couloir rectangulaire transparent entouré de plantes variées de la région a été conçu en 2004 par le biologiste français Patrick Blanc. Les plantes changent de l’aspect selon les saisons, donc le couloir avec.

Il y a des expositions vraiment étonnantes comme « la piscine » créée par l’argentin Leandro Erlich, « Bleu Planet Sky » par l’américain James Turrell,  « Klangfeld Nr.3 für Alina » par l’allemand Florian Claar, « Siren » par le coréen Lee Bul, « I am here, but Nothing » par le japonais Kusama Yayoi, « l’anneau de traversins » par la française Annette Messager, « Map » par la libanaise Mona Hatoun, « Platon’s Orgel » par le japonais Kawasaki Kazuo, « l’homme qui mesure des nuages » par le belge Jan Fabre, ou pleins d’autres.

Chaque créateur choisit ses matériaux, ses couleurs, ses lumières, ses ombres, ses positions pour exprimer ses sensations, ses satisfactions, ses frustrations, ses admirations, ses craintes, ses dégouts, ses joies, ses interrogations, ou d’autres dans une liberté choisie par lui-même. Je dirais que c’est un art qui est né de la profondeur de l’égo.  Je conseillerais donc à chaque visiteur d’être muni d’une boussole pour ne pas perdre la sortie.

SANAA a talentueusement contribué à la réalisation d’un musée « ouvert » où les visiteurs se sentiraient comme ceux d’un parc d’attractions.  D’ailleurs, je me réjouirai de voir l’ouverture prévue en 2014 du grand magasin Samaritain à Paris rénové également par SANAA.

La pluie tombait continuellement sur Kanazawa.

 

A suivre au mois de mai lorsque je reviendrai de Kyoto

7 mars 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

Conte 8:  Voyage en train

 

 

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Notre train-express « Thunderbird No.7 » part de Shin Osaka à 8 :46 en destination de Toyama.

Le nom donné à chaque train-express suscite une image des pays qu’il traverse. Tous les trains-express ont ainsi un nom comme le nôtre qui se traduirait en un train qui file comme un tonnerre en longeant les grosses vagues de la Mer du Japon vers le nord. Et c’est le 4ème train-express du même nom dans la journée dans le sens de Shin Osaka vers Toyama, et les numéros pairs du même nom dans l’autre sens.  Puis chaque train-express a un design spécifique tant au niveau de la forme de la locomotive que de la couleur.

Le voyage en train est, pour les Japonais, un univers à part qui se déconnecterait de la réalité quotidienne où ils prennent tous un train local pour un déplacement quelconque. Ce serait un départ pour un vagabondage intérieur à la recherche des joies comme un retour occasionnel aux contrées, une petite cure d’onsen, ou peut-être à la recherche d’une solitude. Le nom d’un train évoquerait en tout cas comme un souvenir intime.

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On se souvient que le livre « Pays de neige » de Kawabata commence ainsi : Un long tunnel entre les deux régions, et voici qu’on était dans le pays de neige.  L’horizon avait blanchi sous la ténèbre. Le train ralentit et s’arrêta au poste d’aiguillage….

Une jeune femme regarde vaguement le paysage extérieur, et soudain le reflet d’une personne superpose à ce qu’elle voyait à travers sa fenêtre, et petit à petit son regard se focalise sur la personne en oubliant le décor extérieur.  Je ne dis pas que ce genre de scène n’arrive dans les trains corail ou les TGV de la SNCF. Mais l’approche pour un voyage en train est complètement différente chez les Japonais. Ce n’est pas un moyen, mais une vie parallèle qui transcende tout ce que l’on vit quotidiennement.

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Puis il y a toute une culture culinaire du voyage en train. Chaque voyageur achète sur le quai un « bento » et une boisson fraiche ou chaude avant de monter dans le train. Le bento (appelé aussi Ekiben : littéralement bento acheté à la gare) est un assortiment du riz, et des spécialités cuisinées de chaque région, rassemblé dans une boite de bois léger avec un emballage de couleur locale. L’Ekiben se vend, partout, non seulement sur le quai, mais aussi dans des kiosks de chaque gare au prix de 10 à 15 euros. En effet, au bout de 30 minutes après le départ, les voyageurs commencent, l’un après l’autre, à déballer son Ekiben pour manger discrètement avec une canette de bière, ou du saké, ou du thé vert devant un paysage insolite.

Un vieil ami français, Gabriel,  vivant au Japon depuis une belle lurette, rentrait un jour en France pour visiter sa famille alsacienne.  Après un arrêt à Paris chez un ami japonais, il a continué son voyage jusqu’en Alsace. Dans le train corail (c’était une histoire des années 70), il a ouvert son bento préparé par la femme de son ami. Les voyageurs dans le compartiment autour de lui le regardaient avec des grands yeux interloqués, Gabriel a commencé à manger son bento dignement avec des baguettes comme si de rien était.  Les spectateurs n’en croyaient pas leurs yeux. Et ils lui ont demandé si c’était bon. Il leur a expliqué de la tradition japonaise dans le train. Il m’avait raconté qu’il était tellement concentré sur son bento qu’il avait complètement oublié les mœurs de son propre pays.

Il y a des gens qui mangent du sandwich dans le train en France ou ailleurs. Je dirais que c’est un acte naturel de s’alimenter lorsqu’on a faim. Ce n’est donc pas étrange aux yeux de tout le monde. Mais ouvrir un bento avec du riz, de la viande cuisinée, des légumes sautés dans le train serait une démarche hors-norme, mais qui fait partie bel et bien de la poésie du départ chez les Japonais.

Le bento constitue ainsi une véritable industrie locale en utilisant des ingrédients locaux. Il y a même des rapporteurs d’Ekiben qui postent un commentaire hebdomadaire dans des revues de voyage. Leur métier consiste à voyager partout dans le Japon pour déguster les bentos existants (il y en a des milliers de variétés sur tout le Japon) pour émettre des avis sur la qualité d’ingrédients, le goût, le prix comme en font les inspecteurs du Guide Michelin pour sélectionner des bons restaurants.

Philippe m’avait confié son choix de bento parmi une dizaine de variétés au kiosk. J’ai donc acheté deux Ekibens et deux bouteilles de thé vert. Et j’ai pris place dans le train.

Philippe était en train de lire son «Japan Times» tout en jetant un coup d’œil sur le contenu du sachet pour vérifier si je ne me suis pas trompé de son choix.

Le train-express «Thunderbird No.7 » est parti de Shin-Osaka à 8 :46 tapant en direction de notre prochaine destination : Kanazawa.

 

A suivre

28 février 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

Conte 7:   Ôsaka

 

 

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Un des buts de notre voyage était de visiter des œuvres d’architecture conçues par Tadao ANDO. Nous avions déjà parcouru une dizaine de ses œuvres lors du dernier voyage il y a 4 ans. La suite était donc au programme de ce voyage.

 

Lorsque j’ai rencontré l’œuvre de Tadao ANDO pour la première fois, j’avais l’impression d’entrer dans un monde hostile, fermé par un mur de béton.  Mais cette sensation a été rapidement  dissipée au fur et à mesure de la découverte sur sa conception d’architecture et ses réalisations, en effet, en béton;  son béton ne reflète pas de froidure comme dans un building, mais dégage de la chaleur comme du bois. Il se métamorphose en un élément de la nature s’accommodant parfaitement avec de la lumière, de l’eau, des arbres, du ciel, et surtout des êtres-vivants. Il respire de la vie née de la nulle part en pleine nature. C’est une création.

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Bref j’ai été complètement envahi par une puissance de la nature vivante.  C’est un magicien de la vie, ce Monsieur Tadao ANDO.

 

Il est né à Osaka en 1941. Après ses études secondaires dans un lycée professionnel à Osaka, au lieu de fréquenter une école d’architecture,  il est directement parti en vagabondage de 4 ans dans les quatre coins du monde pour sentir avec son propre corps la beauté d’arts plastiques du Parthénon, des concepts ancestraux d’habitats villageois construits avec des matières locales, en Asie, en Afrique, en Grèce, puis le Corbusier en France.  Cette expérience lui a permis d’imaginer comment et dans quel cadre les gens faisaient face à la vie. Au retour, il a directement préparé en autodidacte les examens d’état pour devenir un architecte de première classe, ce qui donne, au Japon, un plein pouvoir fonctionnel en tant qu’architecte.

 

Le point de départ d’architecture pour lui était de l’habitat, affirme Tadao ANDO dans son livre intitulé « J’ai rêvé en architecture ». Le concept d’habitat était né du désir originel de l’homme. Il différentie selon le climat ou le mode de vie, dans lesquels chaque homme ou femme autochtone était placé. L’habitat d’alors n’était certainement pas fonctionnel, ni rationnel, mais il y reflétait un désir impétueux de vivre, qu’on ne retrouve plus dans nos habitats modernes. Il y avait certes une richesse authentique.

 

Par ailleurs, la plupart d’habitats modernes d’aujourd’hui sont construits avec une seule idée: la rationalité, et la fonctionnalité. Puis avec le progrès technologique, et le développement du système social, ils sont devenus incomparablement commodes et agréables. Comme chacun cherche le même confort, l’environnement d’habitats devient de plus en plus uniformisé partout dans le monde.

 

Tadao ANDO se demandait alors si la notion de commodité conduisait à la richesse, et si oui, quel était alors l’idéal revendiqué par l’architecture moderne.

 

L’habitat, qui est le fondement de l’âme de chacun, ne devrait pas être une marchandise sans personnalité. Les chefs d’œuvres d’habitats modernes conçues depuis un siècle n’avaient pas été construits simplement en suivant les livres d’architecture, non sans avoir de critiques féroces à leurs égards.  Ils sont le fruit de la lutte perpétuelle que chaque créateur  a conquis dans son âme débordante d’un rêve pour le futur, dit-il.

 

Tadao ANDO cherche toujours à donner une âme à chaque matériau, que ce soit du béton, du bois, de l’acier galvanisé, ou des coquillages, pour que l’ensemble de la construction murmure une histoire de la vie.

 

Il en a été couronné, entre autres, du Prix Pritzker  (équivalent du Prix Nobel d’architecture) en 1995, du Royal Gold Metal en 1997, d’AIA Gold Metal en 2002, ou du Prix de John F.Kennedy Center for the Performing Arts en 2010.

 

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Sur le 10ème étage du musée historique d’Osaka, une partie du palais principal de Naniwa a été reproduit en grandeur nature avec des alignements de colonnes de 70cm de diamètre peintes en vermeil pastel, et des serviteurs gracieux figés depuis l’éternité. C’était un palais éphémère qui fut bâti en 652 par l’empereur Kôtoku. D’après le livre d’histoire «Nihon Shoki » édité en 710, il était d’une splendeur indescriptible. Mais un incendie le ravagea complètement en 686.

 

L’architecte argentin Cesar PELLI a conçu le bâtiment de manière à ce que les visiteurs du 10ème étage voient en panorama le grand parc boisé situé juste aux pieds du musée, où se trouvait l’emplacement du palais de Naniwa. Il a voulu faire voyager les visiteurs dans le temps, de la reproduction du palais en grandeur nature conçue selon plusieurs écrits d’histoire à la contemplation sur le parc où chacun imagine son palais disparu en remontant 14 siècles en arrière.

 

Protégé par un cloitre fermé étendu de 185m à l’est-ouest, et de 200m au nord-sud, le palais principal avait une imposante figure de 36m à l’est-ouest, et de 19m au nord-sud. Ce fut l’ébauche de la première civilisation à Osaka.

 

Au fur et à mesure que l’on descend les étages du musée, on parcourt chronologiquement l’histoire d’Osaka jusqu’à aujourd’hui à travers des reproductions de scènes marquantes. Ce genre de concept est moderne à savoir qu’en supprimant la barrière de vitrines entre les expositions et les visiteurs, il les fait entrer dans chaque moment de l’histoire.  Il y a d’autres musées comme le musée Edo-Tokyo qui avait été construit en 1993 de la même manière. L’architecte japonais Kiyonori KIKUTAKE avait dessiné le musée à l’image du donjon du château d’Edo (Edo est l’ancienne appellation de Tokyo entre 1603 et 1868) pour représenter la vie d’Edo et de Tokyo de manière vivante.

 

La préservation de l’histoire en mémoires vives est un devoir de l’homme. Elle se réalise seulement à la rencontre de ceux qui portent le projet vers le mûrissement d’idées d’un architecte.  

 

Après la visite de ce magnifique musée, nous avons décidé de faire un quartier libre, où Philippe continua sur sa lancée pour visiter la gare de Naniwa construite par ANDO en 2008, et moi, j’ai décidé d’aller me tremper jusqu’aux épaules dans les bains de Naniwa yu.

 

A suivre

10 janvier 2014

Une chronique de voyage au Japon, à travers sa face cachée

Conte 6:      Osaka

 

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Une histoire de si est décidément commode pour réécrire de l’histoire dans la fiction.

 

En effet, si le clan Toyotomi, malgré leur supériorité en nombre, n’avait pas perdu la grande bataille de Sekigahara en 1600 départageant le règne du Japon contre le clan Tokugawa,  la ville d’Osaka aurait pu être la capitale politique du Japon à la place de Tokyo.  Le clan Toyotomi fut finalement anéanti par les alliés de Tokugawa en deux sièges mis successivement en octobre 1614 et en avril 1615 contre le château d’Osaka.

 

Le Shôgun Tokugawa résidait à Edo pour régner le Japon au nom de l’Empereur tandis qu’il restait à Kyoto sans avoir aucun pouvoir de contrôle sur le clan Tokugawa, ce que l’on appelle l’ère Edo qui a duré jusqu’en 1868 dans une paix d’insouciance.

 

Malgré l’implantation du quartier général du clan Tokugawa au sein du château d’Edo, Osaka était resté le centre commercial de tout le Japon. Les bateaux commerciaux venant du nord, ou du sud, tous se dirigeaient vers Osaka pour vendre des produits régionaux aux grossistes.  Puis de là, les marchandises étaient redistribués vers d’autres villes notamment Kyoto à une cinquantaine de km de distance, où résidaient les Empereurs successifs. Bref Osaka était, disons, comme le marché de Rungis, qui alimente non seulement la capitale de France, mais également toute la France avec des produits régionaux et exotiques.

 

Les gens d’Osaka avaient une réputation d’être très durs en affaires avec leur mentalité de commerçants aguerris.  L’image qu’on aurait d’eux est qu’ils soient toujours munis d’un « soroban » (boulier japonais avec 17 rangés de 5 boules coulissantes pour faire des calculs), prêts à engager une négociation avec quiconque dans un fort accent reconnaissable. Certainement je suis en train d’entrer dans le domaine de caricatures, où je peux même avouer que les gens de Tokyo dont je suis originaire seraient moins rationnels que ceux d’Osaka.

 

Par ailleurs, ils adorent manger des bonnes choses. Ils préfèrent dépenser un sou restant pour la nourriture que l’économiser pour le lendemain, s’écrient-ils. Ce sont des bons vivants peut-être contradictoires.

 

Lorsque l’on flâne dans les allées commerçantes de Midôsuji jusqu’à Shinsaibashi, où il y a toute sorte de boutiques, petites ou grandes, traditionnelles ou modernes, on se rend compte réellement qu’Osaka est une ville fondée sur le principe d’échanges commerciaux. Les dialogues de marchandage enjoués entre les commerçants et les clients seraient une façon naturelle d’aborder la vie.

 

En Europe, j’imaginerais la même ferveur commerciale, certes de différente manière, dans les villes hanséatiques comme Lübeck en Allemagne du 12ème siècle. Tous les bateaux de commerçants, venant de pays nordiques ou de pays baltiques se dirigeaient vers des villes portuaires d’Allemagne. Et les marchandises étaient redistribués vers d’autres pays comme la France, l’Italie, ou d’autres ; dire que la morue que les Italiens raffolent dans leur cuisine provenait de Bergen par l’intermédiaire du commerce hanséatique !  Cette tradition ancestrale qui a fleurie durant quatre siècles auraient forcément contribué au statut économique dominant d’Allemagne au sein de l’Europe d’aujourd’hui.

 

Lorsque les gens d’Osaka sont sur un escalier roulant, ils se rangent sur le côté droit pour laisser passer les gens pressés tandis que les gens de Tokyo se rangent sur le côté gauche. Ceci est vrai, que ce soit dans les gares, ou dans les grands magasins, ou dans n’importe quel endroit de la région respective. On ne peut pas dire que les gens d’Osaka soient des dextrogyres et ceux de Tokyo des lévogyres. C’est un comportement naturel de part et d’autres, mais seulement basé sur une rivalité enfantine au fond.

 

Au début de l’ère Meiji, Tokyo s’est d’abord équipé en 1887 d’une génératrice d’électricité allemande fabriquée par AEG sur les spécifications de 50 Hz, puis Osaka a suivi un autre achat de même genre en 1888 chez  l’américain GE sur les spécifications de 60 Hz. Les industriels japonais ont continué, depuis lors, à jouer sur cet héritage historique pour moderniser les installations de centrales électriques séparément.  La ligne de partage se trouve ainsi entre Shizuoka (ville aux pieds du Mont Fuji sur le Pacific) et Itoigawa (ville face à la mer du Japon). Le côté Est de cette ligne est alimenté en 50 Hz tandis que le côté Ouest en 60 Hz. Les Japonais vivent cette situation particulière depuis 124 ans, et certainement encore pour longtemps.

 

Lors du tremblement de terre de magnitudes d’échelle 9 suivi d’un tsunami monstrueux, le 11 mars 2011, qui a littéralement ravagés la région du Tôhoku côtier causant plus de 19000 morts et disparus, le manque d’électricité a été ressenti surtout à l’est de Tokyo jusqu’aux sinistrés.  L’électricité de l’ouest n’ayant pas pu être utilisée au secours de l’est  à cause de cette aberration, les industries et les particuliers ont été forcés à réaliser une économie de 10% dans leur utilisation durant toute la période d’été, où normalement la consommation d’électricité augment à pic à cause de la climatisation. Même dans ce genre de situation de catastrophes, la panne d’électricité a été évitée grâce à la solidarité de tous les Japonais autour du peuple meurtri du Tôhoku.

 

A suivre

 

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